Un marquis cauchois et une esclave haïtienne

Thomas-Alexandre Davy de la Pailleterie, dit Alexandre Dumas, général, père du romancier naquit à Jérémie (Saint-Domingue) le 25 mars 1762 et mourut à Villers-Cotterêts (02) le 26 février 1806. Il était le fils du marquis Alexandre Davy de la Pailleterie, venant du pays de Caux (Bielleville) et venu là en 1748, et d’une négresse, Césette, achetée très cher à M. de Maubielle (elle sera revendue à un mulâtre, M. Caron, pour payer le voyage de retour en France). Son père était le dernier des Davy, gentilhommes cauchois,  » marquis  » de la Pailleterie, qui possédaient un château à Bielleville-en-Caux, près de Bolbec. Il avait rejoint son cadet, lequel avait fait fortune dans les plantations de canne à sucre. Après une dispute, il disparut dans l’île. Après le décès de son cadet, le « marquis » que chacun pensait mort à Saint Domingue réapparut pour faire valoir ses droits contre son neveu de Maulde.

Ce grand-père étonnant et peu recommandable anticipait sur Edmond Dantès ! Puis il vendit le château, qui fut racheté par ce même neveu contre une rente de 10.000 livres. On peut s’amuser du le fait que par cet aïeul indigne, Dumas descendait d’une Anne de Clère, mère d’Anne de Pardieu, et issue des Montmorency, des comtes de Nesles-Soissons et du roi Louis VI.  

Le dragon se fiance à une Cotterézienne

Le jeune homme rejoint son père déjà revenu en France le 3 août 1775. Après la vente du château familial de Belleville en 1777, il vit avec son père à Saint Germain-en Laye (1778) ; il se fait de bonne heure remarquer par sa haute taille et sa force herculéenne , notamment lors d’une altercation avec le major Titon de Saint Lamain au Théâtre des Grands Danseurs du Roi le 14 septembre 1784. Il jouit des plaisirs de la vie en dilapidant les restes de la fortune du père, souvent en sa compagnie, mais tout en recevant à Paris une éducation noble. Fâché par le mariage de son père avec sa gouvernante, le 2 juin 1786, il s ’engage aux Dragons de la Reine (futur 6ème Dragons en 1791) sous le duc de Guiche, franc-maçon, qui aimait les beaux garçons . Son père décède le même mois. Là il se lie avec de futurs généraux d’Empire, Jean-Louis Espagne, Louis-Chrétien Carrière de Beaumont, Piston, également engagés dans cette unité et probablement tous maçons. Basé à Laon, en mars 1788 il est envoyé à Villers-Cotterêts le 20/8 1789 pour rassurer les populations inquiètes des troubles de la Révolution, il y épousera la fille de son logeur, Marie Labouret le 28/11/1792.  

De dragon à général de division

De retour à Laon le 19 décembre 1789 le colosse intrépide de 1m85 est nommé brigadier le 16 février 1792 ; il sert à l’armée du Nord, 1792-1793 , devient lieutenant dans les Hussards de la Liberté du colonel Boyer, 2 septembre 1792 (où Espagne est capitaine); devenu ensuite lieutenant-colonel de la légion franche des Américains et du Midi il y est l’adjoint de son ami le chevalier de Saint-Georges, 15 septembre 1792 (devenue 13ème chasseurs à cheval, mars 1793).

Il épouse Marie Labouret le 28 novembre 1792 , rejoint son poste le 15 décembre et est envoyé à Béthune le 6 juillet 1793 ; fait général de brigade le 30 juillet 1793 il est envoyé à Soissons pour recevoir et expédier des renforts à l’armée du Nord, 29 août ; repoussé de Roncq le 27 août , il est pourtant nommé général de division et commandant le camp de Mons-en-Pévèle, 3 septembre 1793.

Nommé ensuite commandant en chef de l’armée des Pyrénées Occidentales le 8 septembre 1793 il appelle Beaumont comme aide de camp ( 23 septembre 1793) ; rendu à son poste le 29 octobre, il ne put y prendre le commandement par suite d’un arrêté des représentants du peuple près de cette armée qui maintenait Müller dans le commandement en chef, 24 octobre 1793 ; il fut alors chargé par le Comité de Salut Public de conduire un renfort de 10.000 hommes de l’armée des Pyrénées Occidentales à l’armée de l’Ouest, 30 novembre, où il laissa le souvenir du seul général humain de la République à ce poste. Il se brouille définitivement avec Saint Georges suite à un trafic de chevaux imputé à ce dernier, fin 1793.

Nommé commandant en chef de l’armée des Alpes, le 22 décembre il se trouve à son poste le 21 janvier 1794 ; là il s’empara du Petit-Saint-Bernard et du Mont-Cenis, où il aurait jeté ses hommes par-dessus une palissade à franchir. Il quitta l’armée pour se rendre à Paris, le 6 juillet ; il prend Espagne comme aide de camp le 22 mai et devient commandant l’Ecole de Mars au camp des Sablons le 2 août ; nommé à l’armée de Sambre-et-Meuse, le 5 août , puis commandant en chef de l’armée de l’Ouest à la place de Vimeux, 17 août 1794 ; il prit possession de son poste le 7 septembre.

Fait commandant en chef de l’armée des Côtes de Brest, le 24 octobre puis envoyé à l’armée de Sambre-et-Meuse comme général de division, le 10 novembre, il est mis en réforme, le 7 décembre 1794, rentra dans ses foyers. Appelé à Paris pour mater les troubles royalistes, il arrive en retard pour cause de problèmes de voiture (c’est Bonaparte qui accomplira cette tâche les 5 et 6 octobre 1795, ce qui aboutira à la carrière que l’on sait). Il souffre alors d’une excroissance à l’œil . Remis en activité comme commandant à Sedan, le 14 novembre 1795, il est( chargé, le même jour, d’occuper le pays de Bouillon.

Il démissionna le 6 décembre 1795 , mais sa démission fut refusée par le ministre de la Guerre le 1er janvier 1796 . Nommé commandant de la place de Landau, le 11 janvier 1796, puis mis à la disposition du ministre de la Guerre, le 13 avril, il est ensuite commandant les vallées de Tarantaise et de Maurienne à la place de Carteaux, 22 août ; désigné pour l’armée d’Italie à la place de Despinoy, 13 octobre ; commandant la cavalerie de l’armée d’Italie sous Kilmaine, novembre 1796 ; commandant une division sous Kilmaine, à la place de Chabot, au blocus de Mantoue, 17 décembre 1796 ; placé sous Sérurier, 21 décembre ; servit à la Favorite, 16 janvier 1797 ; commanda la cavalerie sous Masséna, 17 janvier, à la suite d’une altercation avec Berthier (il semble qu’il ait été furieux de la promotion de celui-ci à la place de Kilmaine, alors qu’il était plus ancien dans le grade de général de division, cette furie étant aggravée par la nouvelle de la perte d’une fille née récemment) ; puis sous Joubert dans le Tyrol, 24 février ; servit au combat de Neumarck, 22 mars ; encore rempli de furie et de désespoir, tua plusieurs cavaliers ennemis de sa propre main, arrêta seul, sur le pont de Brixen, pendant plusieurs minutes, un escadron de cavalerie autrichienne, donnant le temps aux siens de le rejoindre ; y fut blessé de 2 coups de sabre, 23 mars 1797 , ce qui lui valut le surnom de « diable noir » par les autrichiens et d’Horatius Coclès du Tyrol pour les siens ;

servit à Mittelwalde, 28 mars ; commanda une division de cavalerie à l’armée d’Italie, 11 avril, puis la 2ème division de cavalerie de cette armée, 14 juin ; est à Trévise, à Rovigo où il dîne avec Joséphine, et avec Pauline Bonaparte-Leclerc ; séjourne à Villers-Cotterêts, alors que les Labouret liquident leur hôtel et s’installent rue de Lormet; vend 5 chevaux, 18 octobre ; à l’armée d’Angleterre, 9 novembre ; commandant une division de dragons à ladite armée, 12 janvier 1798 ; vend 5 de ses 6 chevaux d’Italie pour 1000 livres pour régler le loyer de la maison de la rue de Lormet louée en avril pour son beau-père Claude Labouret à Villers-Cotterêts, 18 mars 1798 ; les Labouret vendent le mobilier de l’hôtel de l’Ecu pour 1300 francs, avril ;

 

Le général Dumas en campagne  

Campagne d’Egypte, captivité, retraite aux Fossés

Dumas est appelé à Toulon, où il se trouve le 4 mai ; il y est reçu par Bonaparte, au lit avec Joséphine le 10 mai ; le 19 mai 1798 il quitte Toulon comme commandant de la Cavalerie d ’Orient. Il embarque sur le ‘Guillaume Tell’ pour l’Egypte avec ses aides de camp, Beaumont, Dermoncourt et Lambert,19 mai.

Il écrit à Marie-Louise, sa femme, combien il est démoralisé, parle de ‘déportation’, et de moral et de physique ‘éprouvés’, 15 juin ; confirmé commandant la cavalerie de l’armée d’Orient, avec 3000 cavaliers et … 300 chevaux, 23 juin ; Il marche à l’avant, son fusil de chasse à la main, à la prise d’Alexandrie, le 2 juillet ; Bonaparte lui offre un sabre. Au départ pour le Caire, il faut traversér sur 14 lieues du désert de Damanhour, avec des équipements totalement inadaptés, 7 juillet ; il a une discussion animée sous la tente avec Lannes et Murat, où tous trois perdent espoir, jettent leurs chapeaux dans le sable et les piétinent avec colère ;

Dumas dénonce l’ambition personnelle de Bonaparte, 9 juillet ; arrivée au Nil, à El Ramanieh ; Dumas, malade, souffre de la chaleur,10 juillet ; Bataille contre Ibrahim et Mourad bey et leurs 6000 mamelouks à Gizeh, victoire de Desaix, Bon et Via, 21 juillet ; Nelson coule la flotte à Aboukir, ce qui rend un retour proche impossible et accroît le mécontentement des officiers, 13 août ; Bonaparte frappe du poing sur la table devant ces récriminations,15 août ;

Dumas convoqué par Bonaparte, demande à rentrer après une vive discussion, fin août ; il trouve un coffre rempli d’or dans sa maison et en fait don à Bonaparte, fin août ; il s’empare de Menzaléh, 7 octobre ; réveillé par Dermoncourt, mate les insurgés cairotes en chargeant à cheval dans la Grande Mosquée du Caire, 21 octobre ; avec Lannes et Vaux, au point du jour, échelonnent autour du Caire des détachements de troupes et coupent les insurgés d’apports extérieurs, 22 octobre.

Autorisé à rentrer en France le 22 janvier 1799 il a un dernier contact avec Bonaparte lors d’une revue des troupes, le 3 février ; il vend sa collection d’armes et achète 11 chevaux ; l’incompétent Menou exaspère les généraux ; Reynier renonce à commander sa division, Menou le fait arrêter par Destaing et « le renvoya en France avec l’ancien chef d’état-major de Kléber, le général Dumas , qui avait proféré quelques paroles injurieuses à son égard », mars ; Dumas part pour la France d’Alexandrie à bord de la « Belle Maltaise », voilier rapide affrété par lui au capitaine Félix, avec seulement 10 canons ; il offre le passage au général d’artillerie de Manscourt du Rozoy (1749-1824) et à Déodat de Grater de Dolomieu (1715-1801, minéralogiste qui donna son nom à la dolomie), 7 mars (Beaumont reste sous Murat, et Dermoncourt sous Belbey); mais il est fait prisonnier de guerre à Tarente où il avait relâché pour cause de tempête « avec des creux de 10 mètres », fin mars 1799 ;

Emprisonné à Brindisi, puis à Messine, où on tente de l’empoisonner avec des biscuits trempés dans du vin, il sera remis en liberté le 5 avril 1801 ; il écrit à Bonaparte le 6 février ; rejoint Murat à Florence, 28 avril ; rentre en France, malade des sévices subis : il est sourd, aveugle d’un œil, en partie paralysé, et souffre d’un ulcère d’estomac ; Il arrive à Villers-Cotterêts en juillet ; un arrêté de Berthier exclut de l’armée les officiers de couleur, le 29 mai 1802 ; le territoire français est interdit aux nègres le 2 juillet ; Dumas est destitué de son grade de général de division le 23 juillet ; malgré ses démarches auprès de Berthier et Davout, il ne touche que 4000 francs par an, et ne touchera jamais les 28500 francs d’arriéré et les 5000 francs d’indemnités de captivité qui lui étaient dus ; Naissance d’Alexandre Dumas à Villers-Cotterêts le 24 juillet ; son parrain est Brune, qui se fait représenter.

Le général Dumas est admis au traitement de réforme, 13 septembre 1802, le jour du soulèvement général de Saint Domingue. Dumas écrit à nouveau à Bonaparte pour être réintégré le 9 mars ; celui-ci refuse le 17 octobre 1803 ; L’indépendance de Saint Domingue est proclamée par Dessalines ; on ouvre une bonne bouteille chez les Dumas, 1er janvier 1804 ; Dumas loue le château des Fossés le 2 avril ; il y put rêver de sa gloire perdue, du rang de ses ancêtres, rang qu ’il avait illustré brillamment avec ses exploits militaires. Il dut y narrer ses campagnes à son fils, lui parler des Davy, de Césette, du Montecristo de son père à Saint Domingue.

Il rend visite à Pauline Bonaparte, veuve de Leclerc, à Montgobert, en octobre 1805 (elle était déjà séparée de Camille Borghèse, épousé chez Joseph Bonaparte à Mortefontaine (60) le 31 août 1803).

Il quitte les Fossés temporairement pour Antilly le 20 juin 1805 , rend visite à Jean-Noël Corvisart, médecin de l’Empereur, à Paris, qui diagnostique un cancer de l’estomac; il va voir sa fille aînée, Alexandrine-Aimée, et madame de Montesson, accepte l’invitation à déjeuner de Murat et de Brune le 18 septembre 1805.

Il s’installe à l’hôtel de l’Epée à Villers-Cotterêts chez sa belle famille tout en conservant le bail des Fossés, où il se rend aussi, septembre ; il est frappé de nostalgie en apprenant que son vieil ami Piston charge avec la cavalerie à Austerlitz le 2 décembre ; il fait fondre le pommeau de la canne de son père, puis fait seller, galope dans une dernière charge imaginaire en forêt de Retz le 25 décembre ; il meurt à l’hôtel de l’Epée le 26 février 1806.

Le nom du général Dumas est inscrit au côté sud de l’Arc de Triomphe de l’Etoile.  

Le général Dumas à Montgobert chez la belle Pauline  

Naissance d’Alexandre, le futur romancier

Alexandre, naquit à Villers-Cotterêts le 24 juillet 1802, là où vivaient ses grands-parents maternels Labouret après avoir vendu leur hôtel « A l’Ecu de France ». Le général et sa famille quittèrent les lieux le 2 avril 1804 pour le château des Fossés, à 4km de là, au cœur de la forêt de Retz. Le général loua ainsi les Fossés aux époux le Cauchois. Là il put rêver à sa gloire perdue, songer au rang occupé jadis par ses ancêtres Davy, rang qu ’il avait lui même illustré brillamment de ses nombreux exploits militaires. Il y put narrer ses campagnes à son jeune fils, lui parler des Davy, de Césette, du Monte Cristo de son père à Saint Domingue.